Essential Listenings #43


Composition de Taku Sugimoto réalisée par Ryoko Akama (électronique, piano), Cristian Alvear (guitare), Cyril Bondi (harmonium, percussions), et d'incise (métaux, électronique). Publié par Caduc, déjà épuisé à la source.
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Premier solo de Sergio Merce qui présentait son saxophone modifié "microtonal" pour la première fois. Publié en 2014 sur potlatch.
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Haiku String Trio réalise plusieurs compositions pour instruments à cordes de Beat Keller, Tom Johnson et Joseph Kurdika. Avec Julia Schwob (violon), Davis Schnee (alto), Nicola Romano (violoncelle).
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Dernier album du légendaire groupe post-hardcore Neurosis. Parution en CD, double LP, cassette et digital chez Neurot, et produit par Steve Albini.
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Nouveau coffret de Mohammad (MMMD) édité en coffret de trois EP. Des mélodies lentes, sombres et ... basses. Epique.
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Double LP d'un maître de la musique électroacoustique européenne. Surprenant.
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Taku Unami et Eric La Casa pour une des plus intriguantes collaborations publiées chez erstwhile.
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Longue improvisation (ou pas) réductionniste et minimale, proche du drone, par Nikos Veliotis (de Mohammad) au violoncelle, Rhodri Davies à la harpe électrique et Angharad Davies au violon. Publié en 2010 par absurd et Organized Music from Thessaloniki.
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Sergio Merce - be nothing


Après un premier essai en solo paru sur Potlatch, Sergio Merce revient avec be nothing : une nouvelle proposition pour saxophone microtonal toujours (un saxophone modifié par lui-même à l'aide d'eau, de gaz et d'air comprimé à la place des mécanismes habituels), accompagné cette fois d'électronique et de synthétiseur analogique. Il y a plus d'instruments que sur son premier solo, mais ça ne veut pas dire que Sergio Merce part dans le noise ou l'impro, au contraire, sa musique est encore plus posée que précédemment, et l'ajout d'instruments lui permet de mieux se concentrer sur chaque son, d'être plus précis et moins contraint pour une musique encore plus fantomatique que la première fois. 



C’est franchement dur de résister à la tentation de comparer ces deux disques. Il y a bien des différences entre Microtonal Saxophone et be nothing, mais ils restent fondamentalement assez proches. Sergio Merce explore le même intérêt pour les superpositions de différentes couches, et surtout pour les intervales microtonaux. Pourtant, be nothing est moins une démonstration de force que son précédent disque. Il ne s’agit plus ici d’une suite de variations offertes par son instrument, le saxophone n’est plus un prétexte à la musique, Sergio Merce semble s’être avant tout concentré sur la structure.

Une structure qui lui a permis d’être publié par Wandelweiser peut-être, puisqu’il s’agit d’une longue piste d’une heure où les superpositions de couches sonores sont entrecoupées de longs silences. Quant aux couches en elles-mêmes, elles évoluent progressivement et sont plus riches que sur son précédent solo. Enfin, « riches » d’une certaine manière. Les couches ne sont pas aussi complexes, mais l’électronique et le synthétiseur analogique permettent tout du moins à Sergio Merce d’élargir le registre à certaines fréquences (basses et aigues) qui n’auraient pas été possibles avec le saxophone seulement.

Tous les fragments sonores explorent des intervales qui se frottent, on retrouve souvent des battements harmoniques et des tensions qui confèrent à cette musique quelque chose de spectral et fantomatique, mais aussi de poétique. Sergio Merce joue sur les relations entre les sons, entre les harmoniques, sur les résonances et les durées, sur les répétitions et les oublis, il joue une musique unique faite de fréquences simples aux relations complexes.

Be nothing est vraiment complémentaire à Microtonal Saxophone, si vous avez aimé le premier, vous ne serez pas déçus. Et si vous le n’aviez pas déjà écouté, c’est l’occasion de découvrir ce saxophoniste argentin hors norme avec ces deux disques aussi beaux l’un que l’autre.


SERGIO MERCE - be nothing (CD, wandelweiser, 2016) : http://www.wandelweiser.de/_e-w-records/_ewr-catalogue/ewr1604.html



Keith Rowe & Martin Küchen - The Bakery

Si mes souvenirs sont bons, je pense avoir entendu Martin Küchen pour la première fois en trio avec Keith Rowe et Seymour Wright, sur un disque publié il y a quelques années chez another timbre. La guitare préparée de Keith Rowe était confrontée aux techniques étendues des deux saxophonistes, la neige radiophonique aux souffles humains, pour une musique improvisée rugueuse et abstraite. Mes souvenirs ne sont pas assez précis pour une comparaison, mais The Bakery est l'occasion de retrouver deux des membres de cette formation, Martin Küchen et Keith Rowe, pour une musique intime et simple, douce et abrasive, en grande partie improvisée (dans la mesure où l'on peut parler d'improvisation avec Keith Rowe).

Depuis quelques années, je trouve la musique de Keith Rowe de plus en plus aride et radicale, parfois même austère, à l'image de son dernier duo en CD avec John Tilbury. Ca n'a rien de négatif, mais The Bakery ne ressemble pas à ça, peut-être parce que l'enregistrement date de 2013 aussi. Je trouve au contraire ce dique très doux, parfois même mélodieux d'une certaine manière. Il a quelque chose d'agréable, de fluide et soyeux en quelque sorte.

Les souffles du saxophone et les bruits blancs électroniques s'entremêlent et tissent parfois des notes fantomatiques, des bourdons discrets qui s'infiltrent dans la longue respiration des deux musiciens. On n'est jamais dans le bruit pur, ni dans la mélodie bien évidemment, mais toujours dans un entre-deux stable et équilibré. Küchen et Rowe semblent comme sculpter une mélodie vivante à l'intérieur de bruits inertes. Ils font ressortir le harmoniques propres à chaque bruit et dessinent une sorte d'aquarelle abstraite où émergent parfois comme des figures communes, connues.

La musique de Küchen semble souvent immémoriale, elle a quelque chose d'archaïque et de simple qui fait toute sa beauté, comme un retour au source guidé par une intentionnalité futuriste. Ici, c'est au tour de l'électronique et de la guitare de Keith Rowe de se plonger dans un monde ancien, dans un monde où musique et bruit ne sont pas séparés, où nature et culture marchent ensemble. Küchen et Rowe font vibrer le bruit de manière mélodieuse et charmeuse, ils créent des nappes de fumée électronique et instrumentale immersives et douces. Il n'est pas question de confrontation, de séparation, les deux hommes sont unis, comme les sources sonores, tout est réuni pour la création d'une musique atemporelle basée sur le bruit des souffles et l'union des respirations.


KEITH ROWE / MARTIN KÜCHEN - The Bakery (CD, Mikroton, 2016) : http://mikroton.net/recordings/index.php/catalog/mikroton-cd-46/


John Butcher, Thomas Lehn, Matthew Shipp - Tangle

Si Fataka n'est pas un label qui mise sur les "nouveaux talents" ou les "artistes prometteurs", il reste, malgré son jeune âge, un des labels les plus intéressants pour qui s'intéresse à la musique improvisée, tout particulièrement aux têtes d'affiches de l'impro, qui délivrent souvent sur ce label quelques unes de leurs meilleures productions de ces dernières années. Tangle, le dernier CD à paraître sur ce label, regroupe ainsi John Butcher, Thomas Lehn et Matthew Shipp, soit autant de musiciens qui monopolisent tous les festivals, salles de concerts et labels intéressés par l'improvisation, et qu'on a tous vu et entendu à plusieurs reprises. Alors, quel intérêt à ce disque ?


Une belle pochette et un super son ? Non ça ne suffit pas. Le premier à noter pour les fans, c'est que c'est la première publication (première rencontre aussi ?) réunissant ces trois musiciens sur un même disque. Mais ça, ça vaut surtout pour les collectionneurs et les obsessionnels de Butcher ou Shipp (ceux de Thomas Lehn ne doivent pas être aussi nombreux j'imagine). Par contre, il faut savoir que quand Fataka décide de publier un disque, il y a souvent une raison plus importante, peut-être simpliste, mais vraiment importante, c'est que ce label publie toujours des performances d'une qualité rare. Il ne s'agit pas de publier cette rencontre parce qu'elle est inédite, il s'agit de la publier parce qu'elle en vaut le coup, parce qu'elle est excitante, qu'on est heureux de l'entendre et qu'on a souvent envie de la rejouer.

A part les dérives monkiesques de Matthew Shipp, on ne trouve rien de vraiment surprenant : l'extravagance modulaire de Thomas Lehn, les explorations sonores nerveuses de John Butcher et une touche free jazz américaine au piano. Ce qui est le plus surprenant est peut-être la fidélité avec laquelle joue ces trois musiciens. Ils ne tentent pas de s'imiter ou de se copier, bien au contraire, ils jouent comme ils ont toujours joué, et parviennent à se faire chacun leur place dans ce trio, sans s'étouffer, sans se contredire, ni rien. On a trois instruments différents, trois esthétiques différentes, mais une musique pourtant unie. Le trio réussit à concilier les traditions, les préoccupations et les codes esthétiques de chacun pour une performance qui navigue entre le free jazz, le réductionnisme et l'eai, sans qu'on ne soit jamais dans une case bien définie.

Alors bien sûr, on les connaît ces trois là, et rien à redire quant à leurs techniques, quant à leur virtuosité. Evidemment qu'ils jouent bien, qu'ils touchent comme personne, mais c'est surtout cette unification incongrue qui est excitante. Entendre un saxophone abstrait et explorateur aux côtés d'un pianiste qui swingue avec des clusters et de Thomas Lehn qui manipule les circuits analogiques comme un alien qui essaierait de communiquer à travers l'espace, voilà ce qui rend cette rencontre étonnante et excitante, voilà qui fait de ce disque un de ceux que je conseillerais pour qui veut entendre les travaux récents d'un de ces trois excellents improvisateurs.


JOHN BUTCHER, THOMAS LEHN, MATTHEW SHIPP - Tangle (CD, 2016, Fataka ) : http://fataka.net/


Norbert Möslang, Ilia Belorukov, Kurt Liedwart - sale_interiora

Ce n'est pas la première fois que Norbert Möslang apparait sur le label Mikroton, on l'avait déjà entendu sur le superbe Slodgy en compagnie d'eRikm notamment. Quant à Ilia Belorukov, il collabore très régulièrement avec Kurt Liedwart depuis quelques années maintenant, deux musiciens russes qui rencontrent pour la première fois Möslang sur sale_interioraAu programme, les fameux objets quotidiens électroniques transformés par celui que l'on qualifiera toujours de deuxième moitié de Voice Crack (même si cette formation n'existe plus depuis bientôt quinze ans...), des synthétiseurs analogiques, un saxophone préparé, de l'électronique et de l'ordinateur. Si Belorukov et Liedwart se tournent depuis quelques temps vers des musiques de plus en plus minimales et abstraites, il n'en est rien ici, ils suivent la voie tracée par Möslang et forment un trio énergique, virtuose et puissant.
Samples frénétiques, rythmiques lourdes et entêtantes, basses profondes et larsens foudroyants sont les ingrédients de base de ces deux pièces. Le trio mélange les genres et les codes : techno et électroacoustique, field recordings et noise, improvisation libre et musique concrète se côtoient sans problème, pour créer une musique toujours plus forte et surprenante. Tout est trituré et manipulé pour produire toutes sortes de sons : des aigus, basses, boucles, mur de bruit, glissando, explosion, etc. parsèment ces deux pièces et sont imbriqués de manière toujours logique et rationnelle.

Le trio explore toutes les possibilités offertes par leurs outils, mais également les possibilités offertes par les codes esthétiques propres aux musiques expérimentales et électroniques. Du sample au larsen, des circuits électriques déviés à la synthèse sonore numérique ou analogique en passant par des enregistrements, tout est bon pour créer. On se retrouve ainsi dans un maelstrom de matériaux sonores variés mais qui ont en commun de toujours maintenir l'auditeur sur une brèche tendue. Ils n'utilisent pas que des fréquences extrêmes, ni des synthèses massives, mais des samples ou des sons qui ont en commun de toujours aller de l'avant, de ne jamais s'arrêter. La musique de ce trio avance sans cesse, de façon déterminée et écrasante, comme si rien ne pouvait l'arrêter, et l'auditeur se retrouve pris dans cet engrenage sans pouvoir en sortir.

Que ce soit en voiture, sur une chaîne hi-fi, que l'écoute soit immersive ou distraite, sale_interiora ne laisse pas indemne, on se retrouve toujours pris dedans et on y revient. Peut-être que cette collaboration était ponctuelle, mais voilà le genre de rencontre spontanée qui valait bien le coup d'être éditée, car cette formation a parfaitement su saisir l'instant pour créer une musique puissante, hors-norme, belle d'une certaine manière, juste en tout cas, précise et qui fait sens. Typiquement le genre de disque auquel je retournerais facilement en tout cas.


NORBERT MÖSLANG, ILIA BELORUKOV, KURT LIEDWART - sale_interiora (CD, Mikroton, 2016) : http://mikroton.net/recordings/index.php/catalog/mikroton-cd-47/