John Cage - Early Electronic and Tape Music [CD/LP]

JOHN CAGE - Early Electronic and Tape Music (Sub Rosa, 2014)
Il est certainement vrai que ce sont surtout les pièces avec percussions ou pour piano préparé qui sont le plus jouées et écoutées chez John Cage, et beaucoup moins ses compositions électroniques ou mixtes (pourtant débutées dès 1939 avec des sinusoïdes). La plupart des gens savent que Cage a fait de la musique électronique, mais combien l'écoutent vraiment ? Il y a peut-être un manque de connaissance de cette facette de Cage, mais quand même, il y a déjà eu beaucoup de publications, y compris réalisées par Cage lui-même (je pense par exemple au sublime Shock édité il y a deux ans qui comprend entre autres des réalisations de 0'00" et Fontana Mix). Pourtant, Sub Rosa a tenu à éditer ces travaux électroniques encore une fois. Qui plus est, d'une manière plutôt infidèle à Cage, dans la mesure où le Langham Research Center (Felix Carey, Iain Chambers, Philip Tagney et Robert Worby) essaie justement d'être le plus fidèle à Cage, en utilisant uniquement la matériel disponible à l'époque des créations de ces pièces (entre 1952 et 1962 ici). Bien sûr, le but est surtout de donner un aperçu des réalisations possibles à l'époque de la composition de ces pièces, mais ce n'est pas comme si on ne le savait pas déjà. Voilà pour l'intention, étrange, douteuse, qui ne me paraît pas très pertinente en fait (au niveau documentaire c'est accessoire, et au niveau de l'interprétation, c'est assez contraire à la pensée de Cage), mais pourtant, au niveau musical, je trouve ces six pièces vraiment bien réalisées. 

Il n'est pas nécessaire de décrire chaque pièce, on trouve déjà de nombreuses analyses de chacune un peu partout. Le disque commence avec une réalisation simultanée de Fontana Mix et de Aria (par la chanteuse Catherine Carter). Les radios, les bandes et synthétiseurs s'entremêlent avec le chant, les sifflements, les pleurs et les toux de l'Aria. Une musique de collage, de bricolage, de manipulations de bande, une musique inventive et virtuose. Fontana Mix multiplie les sources et perd l'auditeur avec sa vitesse et son énergie souvent, un peu à la manière de Imaginary Landscape n. 5, cette pièce composée uniquement à partir de bandes collées et assemblées, composée à partir d'enregistrements de Vivaldi, Mussorgsky et de nombreux autres. Les phrases et les séquences sont généralement jouées en entier, mais le collage leur fait perdre toute qualité proprement musicale pour ne fai0re plus qu'une sorte de bruit du monde indistinct. 

Le bruit, c'est bien l'élément fondamental des trois dernières pièces de ce disque : Cartridge Music, 0'00", et Variations I (réalisée ici à l'aide phonographes, de cassette, de radio et de spoken word). C'est étrange, car d'un côté, l'utilisation de matériel "ancien" amène des sonorités abrasives et étouffées, mais en même temps, on ressent tout de suite le décalage car ce ne sont pas les mêmes techniques d'enregistrement, et il y a par conséquent tout de même un son très moderne. De plus, l'utilisation prépondérante des radios amène inévitablement un autre élément contemporain (une radio ne pouvait diffuser de la techno en 1958...). En tout cas, ces trois dernières pièces sont réalisées avec beaucoup de rigueur, de minutie et de dextérité. Il s'agit de pièces qui jouent beaucoup sur l'amplification de phénomènes et d'actions sonores minimales et quotidiennes, qui demandent tout de même une grande précision, ce que leur accorde très bien le Langham Research Center. 

Et puis il y a WBAI, pièce de 1960 publiée pour la première fois, et on se demande pourquoi. Chaque "musicien" (ou devrais-je dire technicien du son) ne joue que sur un outil et n'utilise que des sons similaires (une sinusoïde pour l'oscillateur, un seul enregistrement pour le phonographe, un bruit blanc avec une sinus dominate pour le synthé, et une radio). Il s'agit ici d'une pièce de sept minutes divisée en une multitudes de petits blocs indépendants. Chaque musicien, de manière autonome, joue un son continu ou discontinu durant 1 à 5 secondes, puis laisse un silence d'une durée qui varie de la même manière entre 1 et 5 secondes. Une pièce complètement discontinue et faite uniquement de ruptures et d'oppositions fracassantes entre le bruit et le silence. Donc oui, pour WBAI et pour la très étrange réalisation de Variations I, je ne peux que conseiller ce disque. 

Le Langham Research Center propose en somme des réalisations très traditionnelles de ces oeuvres électroniques (avec du matériel restauré ou retrouvé), des réalisations assez attendues en tout cas car je ne sais pas s'il y a vraiment une "tradition". Mais tout de même, ces pièces sont réalisées avec une virtuosité, une précision, et une grande sensibilité au son et aux partitions. C'est souvent extrême, dans le bruit comme dans la minutie, et très attentif aux indications de Cgae. Et ce groupe sait aussi faire preuve d'inventivité, à l'image de cette excellente et par contre très inattendue réalisation de Variations I, une interprétation proche de la musique concrète dans une atmosphère très énigmatique, à moitié paranoïaque et surtout complètement  décalée avec ces douces voix qui semblent surgir d'un sous-marin inconsciemment perdu.