Christine Abdelnour

Christine Abdelnour Sehnaoui/Magda Mayas - Teeming (Olof Bright, 2010)
Magda Mayas + Christine Abdelnour - Myriad (Unsounds, 2012)

A l'occasion de la sortie du nouvel opus du duo Abdelnour/Mayas - Myriad -, je reviens sur leur première collaboration publiée en 2010 sur le label suédois Olof Bright.

J'ai découvert ce disque (Teeming) à peu près quand je découvrais les deux musiciennes: Magda Mayas (piano) et Christine Abdelnour (saxophone alto). Sur le coup, autant dire que j'ai été sidéré par le foisonnement de couleurs, la richesse des timbres et l'inventivité de chacune au niveau des techniques étendues et des préparations. A l'heure qu'il est, je commence tout de même à m'habituer à ces jeux si singuliers, à cette exploration systématique d'une façon autre de jouer son instrument. Mais tout de même, j'ai beau m'habituer, je reste encore plutôt ahuri devant les tableaux que peignent Mayas et Abdelnour. Ici, il s'agissait déjà de tableaux énergiques, d'interactions violentes et créatives. Piano et sax alto produisent une succession de peintures kaléidoscopiques d'une richesse éblouissante. Virtuosité et inventivité sont au rendez-vous à chaque secondes durant ces trois improvisations tendues, agressives, mais surtout autres. Car il s'agit de tableaux bel et bien hors du commun, d'univers inouïs et improbables, qu'on ne pouvait imaginer avant l'arrivée sur scène de ces deux artistes majeures qui ont su chacune à leur manière agrandir l'histoire de leur instrument. Une exploration profonde, intense, systématique, et interactive, du piano et du saxophone alto hors de toute référence traditionnelle. Superbe!

Et deux ans après, qu'est-ce que donne cette collaboration? Une autre perle! Encore meilleure peut-être... Car oui, le langage des deux instrumentiste semble plus assuré, mature et travaillé, il y a moins d'urgence et plus de place pour la construction. Du coup, les univers sonores sont plus longs, plus développés. Une fois le langage instrumental bien établi et complètement ancré dans les corps de Mayas et Abdelnour, l'improvisation peut alors devenir plus posée, plus mure, plus "réfléchie" même si elle semble toujours assez spontanée. Sur Myriad, on peut toujours entendre les interventions espacées et discrètes de Magda Mayas, mais pas moins éblouissantes de créativité. Un jeu de couleurs fait de cordes préparées et frottées, percutées, caressées, raclées. Idem pour Christine Abdelnour, son jeu ne lésine pas sur les multiphoniques, les harmoniques sur des hauteurs vertigineuses (qui peuvent rappeler Doneda à certains moments), les slaps et flatterzunge, les longs jeux avec les souffles, les tampons, et le plateau. Mais toutes ces techniques instrumentales sont maintenant utilisées avec plus de parcimonie, il ne s'agit pas de constamment se répondre l'une à l'autre, mais également de construire un univers stable avec les éléments instrumentaux. Les deux improvisations présentes une cohésion plus apparente, une maîtrise de l'instrument qui va au-delà de l'exploration pour découvrir un terrain plus constructif. Une musique peut-être moins dense, mais plus envoutante et toujours aussi riche en couleurs, car les textures foisonnent et surprennent toujours autant. Le petit plus, c'est que maintenant, Mayas et Abdelnour prennent le temps de se plonger dans chaque atmosphère créée, elles prennent le temps d'évoluer par micro-évènements au sein de chaque paysage sonore - ce qui ne rend Myriad que plus intense et profond. Si vous avez aimé le premier opus, sans aucun doute, vous adorerez cette deuxième collaboration exceptionnellement fertile (qualitativement). 

Ernesto Rodrigues/Guilherme Rodrigues/Christine Sehnaoui/Sharif Sehnaoui - Undecided (Creative Sources, 2006)

Je retourne encore plus en arrière dans la discographie de Christine Abdelnour avec ce disque enregistré il y a maintenant huit ans. On peut déjà trouver l'altiste Ernesto Rodrigues, ainsi que Guilherme Rodrigues (violoncelle et trompette de poche) et le guitariste libanais Sharif Sehnaoui. Je me rends tout juste compte que c'est la première fois que ce dernier apparaît dans sur ce blog, certainement en grande partie parce qu'il ne publie pas beaucoup de disques. Je tiens tout de même à dire qu'il est selon moi un des musiciens les plus intéressants au Liban, avec Mazen Kerbaj, deux grands aventuriers qui contribuent énormément au développement de la scène musicale expérimentale au Liban (en lien, une vidéo de leur collaboration extrêmement fertile: http://vimeo.com/21337255).

J'en reviens à Undecided. Trois improvisations radicales qui s'étalent sur presque une heure. Toujours dans une veine expérimentale et réductionniste, sans être trop minimales non plus, ces trois pièces s'articulent principalement autour de l'agencement de textures. Ni rythmes, ni mélodies, ni même de notes la plupart du temps, le quartet axe plutôt sa musique sur les timbres et les techniques étendues. La musique est quelque peu bruitiste, la plupart du temps assez forte et agressive, tendue et intense. On a du mal à distinguer les instruments, car cette suite d'improvisations collectives se place dans une démarche où seule l'individualité du groupe transparaît. On peut bien sûr admirer la virtuosité et l'inventivité de chacun, toutes les couleurs déployées, inventées et travaillées par l'expérimentation des instruments; mais il semblerait qu'il s'agisse avant tout de créer des textures unifiées et collectives. On entend donc des nappes abstraites, des matières sonores qui s'étendent tout en bougeant constamment, mais de manière horizontale, sans qu'une voix n'émerge plus qu'une autre. De manière horizontale mais non linéaire, le quartet oscille entre un minimalisme hésitant et une improvisation libre réactive et collective, pleine de micro-évènements qui interagissent entre eux. Mais cet entre-deux mérite le coup d'oreille, pour ses masses sonores bien trouvées, ses matières inventives, une tension et une intensité toujours présentes. 

(Au même moment, Ernesto, Sharif et Christine ont enregistré une pièce publiée par le netlabel con-v, disponible en téléchargement libre ici: http://www.con-v.org/cnv28r.html, c'est très bon aussi!)