Thomas Tilly & Jean-Luc Guionnet - Stones, Air, Axioms (Circum, 2012)

Grande figure des musiques nouvelles en France, Jean-Luc Guionnet ne cesse de surprendre. A chaque projet, un nouvel univers surgit. Des duos toujours plus radicaux (avec Eric Cordier, Seijiro Murayama, Toshimaru Nakamura), des projets free jazz au-delà du free (return of the new thing, the ames room), et des solos d'orgue incroyables... Pour ce projet avec le jeune musicien nantais Thomas Tilly (plutôt spécialisé dans les field-recordings, notamment sous-marins), intitulé, très adéquatement, Stones, Air, Axioms, le duo JLG&TT propose d'explorer les possibilités d'interaction entre le son et l'architecture. 

Au sein de la cathédrale Saint-Pierre à Poitiers, Guionnet utilise l'orgue comme un générateur de sons, tandis que Tilly place des générateurs de bruit blanc et de sinusoïdes à certains endroits stratégiques de la cathédrale. "Stratégiques" car l'exploration du lien entre architecture et musique est médiatisée par la physique acoustique et les mathématiques. Je ne tenterai pas d'expliquer les calculs et les mesures des ondes sonores opérés par Tilly, car malgré les explications, ils demeurent assez obscurs. Il n'y a qu'à savoir qu'une des premières sources de ces quatre pièces est le calcul de la trajectoire des ondes sonores au sein de l'édifice religieux. L'espace de représentation devient par la suite la cathédrale entière, et l'instrumentarium devient une véritable installation rationalisée. 

Ne cherchez pas de repères musicaux dans ces pièces, JLG & TT génèrent des sons dont le déplacement est contraint par l'architecture religieuse (de manière verticale ou cruciforme, pour prendre les exemples les plus symboliques). Les lourds accords, sinusoïdes, bruits blancs, longues basses statiques, souffles géants, dialoguent entre eux, s'entrecroisent et s'emmêlent, se mélangent et se dissocient au gré de leur trajectoire. Un troisième élément intervient parfois, l'environnement sonore de la cathédrale, avec l'air qui la traverse, ses bruits quotidiens mis au premier plan par quelques silences. Tous ces éléments se déplacent au sein d'un édifice intellectuellement conçu en vue d'un déplacement particulier du son. Et à travers les sons générés par JLG & TT, la cathédrale se redessine acoustiquement, le déplacement des sons dessine dans notre imaginaire le plan et la coupe de Saint-Pierre.

Quatre pièces plus expérimentales que musicales, mais expérimentales au sens scientifique (même si le duo se réclame d'une science "informelle"), au sens où elles explorent de manière factuelle et pragmatique l'acoustique de cet édifice singulier, avec sa gestion particulière, hiérarchique et extrêmement symbolique des déplacements sonores. Ceci-dit, assister à une performance similaire doit certainement être une expérience inoubliable, mais malgré la post-production, l'enregistrement sur disque de telles performances n'est pas forcément très adéquat, et ne peut pas vraiment rendre compte de l'expérience tentée par ce projet. Malgré tout, Stones, Air, Axioms reste une suite de pièces très originales, où se croisent instruments, électroniques, musique, architecture et science (acoustique, géométrie et mathématique). Mais c'est aussi et surtout une tentative puissante et intense de reconstitution sous plusieurs angles (quatre en fait) d'un espace sonore gigantesque, par le seul biais du son, d'un son pur, brut, sans ornements.