Jakob Riis - No Denmark (Olof Bright, 2010)


Jakob Riis: laptop
avec
Christine Sehnaoui Abdelnour: saxophone alto (piste 1)
Anders Lindsjö: guitare acoustique (piste2)
Mats Gustafsson: saxophone baryton (piste 4)
Per Svensson: guitare électrique (piste 5)

Jakob Riis, tromboniste et musicien électroacoustique d'origine danoise que j'entends pour la première fois, a enregistré quatre duos et un solo entre 2007 et 2008, publiés tous les cinq sur le label suédois de Mats Gustasson, Olof Bright. L'artiste danois s'associe ici à trois suédois, le saxophoniste Mats Gustafsson et les deux guitaristes Anders Lindsjö et Per Svensson que je n'avais encore jamais entendus non plus, ainsi qu'à la saxophoniste Christine Sehnaoui Abdelnour.

Dans un premier temps, Jakob Riis est accompagné par des saxophonistes, notamment, sur No soil, d'une des plus grandes aventurières et exploratrices de cet instrument, la franco-libanaise Christine Sehnaoui Abdelnour. Le saxophone crépite et se gargarise, souffle et salive se mêlent à un kaléidoscope de bruits numériques et synthétiques qui fusionnent indistinctement avec les sons acoustiques. Un territoire riche et vaste caractérisé par l'inouï et une entente parfaite où chacun déploie les potentialités musicales de son partenaire à l'intérieur de cette pièce organique et vitale, pleine de reliefs et de rebondissements qui arrivent sans fractures, par glissements.
No sea, pièce à laquelle participe Mats Gustafsson, commence avec des slaps et des bruits de clés, ainsi qu'avec des bruits mécaniques et artisanaux qui ne sont pas sans évoquer des ressorts et des machines à écrire. Puis les sons s'allongent, l'aspect percussif s'estompe pour progressivement se transformer en drone, drone qui lui-même s'amplifie et s'enrichit jusqu'à la saturation. Une fois que la masse sonore est bien compacte et intense, une nappe basse détend l'atmosphère pour laisser l'espace se dilater dans des sons épiphénoménaux et indistincts, percussifs et indéterminés.

Sur No sky, l'atmosphère violente et industrielle n'a plus rien à voir. Jakob Riis pose un mur de son parfois proche du bruit blanc, aux limites de la harsh noise ou en plein dedans. Anders Lindsjö, à côté, à l'opposé, frotte et pince et plaque des notes ou des accords étouffés, secs, percussifs et espacés par rapport au mur pachydermique de Riis. Opposition frontale et inconciliable qui atteint une tension insurmontable: une expérience extrême ornée d'un talent unique et original à la guitare. La froideur et l'abstraction de Lindsjö se fondent néanmoins très bien dans cette épopée bruitiste, tout en ajoutant une autre forme de tension qui n'est pas sans aider à faire vivre ce mur de bruit.
Pour No sun, Jakob Riis s'associe à l'artiste Per Svensson. Un solo de guitare spacieux et flottant, progressif et psychédélique, est superposé à un drone grave, pesant et immuable. La confrontation est nette et sans concession entre l'inertie et l'apathie du drone d'un côté, et la sensibilité comme la chaleur du guitariste de l'autre côté. Les problèmes de dynamique se résolvent alors dans le timbre, terrain transversal d'entente entre les deux artistes qui sont sans cesse en quête d'un son commun où ils peuvent se réunir tout en maintenant leurs propositions initiales. Sauf que Jakob Riis finit par laisser son drone éclater, il explose et laisse Svensson se fondre dans la texture sonore, dépourvue des émotions et de l'aspect rock peut-être, mais totalement intégrée, grâce aux pédales d'effets notamment, dans la nouvelle dynamique proposée par Riis.

Quelques mots pour finir sur No Denmark, pièce centrale, axe de ce disque symétrique, jouée cette fois en solo par Jakob Riis. Les premiers sons rappellent les frottements d'archets sur cymbales ou le timbre des caisses claires; on perçoit vite l'intérêt que Riis porte à la richesse harmonique des timbres acoustiques, ce pourquoi il s'est entouré d'instrumentistes. Mais la reproduction pure et simple de ce timbre ne l'intéresse pas outre mesure, c'est plutôt la confrontation et l'imbrication avec l'électronique qui l'attire. Une pièce aux allures électroacoustiques où deux univers s'attirent et se révulsent comme des aimants, à l'image du disque entier. Comme sur la pochette où la ligne d'horizon est déterminée par la rencontre entre la mer et un port industriel, Jakob Riis aime confronter l'organique au mécanique, l'art à l'industrie, la nature à la culture; il s'attache ainsi à travailler et déployer des points de fuite qui traversent ces binômes pour les assembler en les confrontant. Un disque composé de nombreuses dynamiques qui s'enchainent sans fractures, où une certaine unité est conservée par la personnalité de Jakob Riis malgré la diversité des collaborations et des associations. No Denmark propose des solutions intéressantes aux tensions entre l'électronique et l'acoustique à travers des dynamiques diversifiées, assez intenses et donc plutôt prenantes. Original, riche, personnel et intéressant, à écouter.

Tracklist: 01-No Soil / 02-No Sky / 03-No Denmark / 04-No Sea / 05-No Sun